Un polo sans âge, col ouvert sur veste noire, barbe de deux jours: Roch Voisine, les traits légèrement creusés, reste conforme à son personnage. Mais au fait, lequel? Car Roch Voisine a changé entre ses premiers succès et maintenant. Une véritable métamorphose, qui l’a fait passer de la variété populaire à une musique nettement plus sophistiquée.
Le chanteur est de retour avec un album folk-rock, sorti il y a tout juste un mois, Movin’ On Maybe. Un titre ironique pour ce jeune quinquagénaire qui n’a cessé de bouger, justement, en se produisant au croisement de deux cultures, francophone et anglophone. Normal, donc, que Roch Voisine se sente partagé. Non seulement a-t-il réussi à s’assurer un joli succès commercial en chantant en anglais et en français, mais, plus important, il a conquis plusieurs générations de spectateurs, entre l’Europe et l’Amérique.
Il sera en concert mercredi au Théâtre du Casino du Lac-Leamy, où il interprétera quelques titres de son nouveau disque anglophone mais surtout des reprises de My Very Best, sorti plus tôt cette année.
Écartèlement culturel
On parle beaucoup de son côté Dr Jekyll et Mr Hyde: posé et réservé, il mène une existence retirée de père tranquille dans le privé; véritable showman sur scène, il reste un performeur spectaculaire.
Mais il y a plus. Le chanteur n’y va pas par quatre chemins pour exprimer le fond de sa pensée sur cet écartèlement musical entre deux cultures.
«En français, on a bien retenu de ma musique ce qu’on a voulu. Quand j’essaie de casser mon image, les gens ne me suivent pas et ça ne m’a pas permis d’évoluer beaucoup sur ce plan-là. Alors qu’en anglais, je peux me permettre une plus grande diversification, d’être plus mature dans l’image que je renvoie.»
Voilà, c’est dit.
Pourtant, son dernier album de compositions originales anglophones remonte à… 2002. «C’est inexplicable et inexcusable», reconnaît Roch Voisine.
Entre Higher et Movin’ On Maybe, des périodes de quasi-disparition du paysage musical québécois entrecoupées de Best Of, de reprises et de retours plus ou moins fugitifs. «L’Europe a pris beaucoup de mon temps», dit-il.
On le croit en panne d’inspiration? Le chanteur se repositionne grâce à Americana, une série de trois opus regroupant des incontournables de la musique nord-américaine. La démarche lui permet de se ressourcer au berceau même de la culture country, en enregistrant directement à Nashville. Bingo! En moins de trois mois, le premier volume est certifié disque de platine au Canada.
«À ce moment-là, j’ai pensé qu’il fallait que je fasse un album de chansons originales», raconte le chanteur.
Quatre ans plus tard, il retourne enregistrer à Nashville, tout en travaillant en studio entre Montréal et Londres. Toutes ses chansons – sauf une, Catch Me – ont été composées ces 10 dernières années, assez longtemps pour faire mûrir une diversité stylistique et thématique. Il en dédie une à son fils aîné (While I Was Waiting For You), une autre à son cadet (Multiplied) «pour ne pas faire de jaloux», sourit-il en touillant son thé.
Entre les lignes co-écrites, Roch Voisine fait tomber les masques de chanteur de charme. Dépourvu de préciosité, l’ex-idole de la Rochmania est un M. Tout-le-Monde qui sourit sans exagérer, gentil, caméléon, réfléchi.
«Je suis le rêve de tout barman», chante-il dans la chanson d’ouverture One Singer. Comprendre: de la trempe des bourlingueurs, de ceux «qui ont vécu beaucoup de choses et ont la conversation inspirée», précise l’artiste à qui l’on vient de décerner un énième prix en lui attribuant l’Ordre du Nouveau-Brunswick, sa province d’origine.
À peine a-t-il débuté la tournée canadienne de son nouvel album qu’il rêve déjà de l’importer en Europe. C’est étrange comme l’idée de se poser semble éloignée au chanteur.
MAUD CUCCHI / PHOTO – PATRICK WOODBURY, LEDROIT
Source: Le Droit